Déprime
Quand elle s'est levée ce matin, son coeur chavira. Son esprit encore embrumé par les vapeurs d'alcool la fit tituber. Ses membres engourdis semblaient dissociés de son cerveau et son cheminement dans l'appartement était hasardeux. Le couloir élastique ondulait doucement. La porte des toilettes lui sembla loin. Un bras tendu vers l'avant, l'autre écrasant son visage, tentant de juguler sanglots et nausée. La cuvette fut son eldorado. Aspirée par l'émail immaculé larmes et aléatoires aliments se mélangèrent dans des spasmes irréguliers. C'est le sommeil qui lui vint en aide. Elle s'endormit à genoux devant l'autel nauséabond de sa pénitence.
Exhibition affligeante et solitaire. Travelling arrière. Logis désordonné et dévasté.. Cuisine encombrée, vaisselle sale noyée dans un évier bouché. Bouteilles renversées, poubelle éventrée. Le séjour n'a rien à lui envier. Les livres écartelés se vautrent sur le tapis gondolé à moitié roulé. Les photos sur les murs ont glissé au sol. Les chaises sont renversées, les coussins sont éparpillés. L'oeil du cyclone est dans la chambre. Plus un objet ne semble à sa place, penderie, matelas, chevet, oreillers, vêtements, fauteuil, lampe, sommier, draps, livres, ... Tout est mélangé, enchevêtré.
Elle est assise dans le couloir étroit. Son visage est ravagé. Elle fume. Dos plaqué au mur, semblant repousser la paroi opposée de ses pieds nus. Elle exhale des ronds parfaits de fumée opaque. La cendre dégringole entre ses jambes sur le sol moquetté, qu'importe... Elle fume. Elle se délecte de cette âpre saveur. Elle se remplit de cette pollution divine. Le paquet de cigarettes est presque vide; elle joue avec, distraitement. Elle pense déjà au prochain.
Le temps passe.
Les volutes de sa dernière clope se noient dans la vapeur étouffante d'une eau trop chaude. Ses cheveux paraissent nuages et auréolent son visage transformé en île. Ses yeux sont ouverts. Elle fixe sa main qui s'approche pour lui délivrer une bouffée salvatrice. Elle voudrait disparaître. Pas mourir, non, juste arrêter d'exister. Rétablir une erreur, l'incongruité de sa présence dans cette réalité décalée.
L'eau s'écoule.
le soleil fatigué de la fin de l'été caresse les rideaux que la brise anime. La radio distille des tubes usés. Les étagères sont rangées. La vaisselle lavée. Le lit fait.
Elle fume... demain est un autre jour qu'elle empilera consciencieusement sur les précédents...