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Le plumot

Les bras roses

12 Juillet 2006 , Rédigé par lilith - Pfffft Publié dans #Nouvelles...glurps


Elle passe avec son vélo noir tous les jours devant ma fenêtre, que le temps soit, ou non, clément. Malgré ses vêtements, qui la camouflent parfois, je la reconnais, ses yeux vifs, parfois, croisent mon regard, rapidement, sans s’attarder. J’aime à la voir venir, chaque jour j’attends avec impatience son passage, et si, par extraordinaire, elle déroge à son habitude, ma journée perd sa saveur, la lumière et les heures passent lentement et douloureusement. J’ai déplacé mon bureau devant la fenêtre, de telle façon à être sûr de ne pas manquer son arrivée au bout de la rue, ainsi je peux la suivre du regard un peu plus longtemps. J’ai beaucoup de mal à me concentrer sur mon travail avant qu’elle ne traverse mon champ de vision, tellement je l’imagine. Comment sera-t-elle aujourd’hui ? Manteau, blouson, chapeau… ? Filera-t-elle ? Joyeuse ? Ou, peinera-t-elle ? Fatiguée ? Aujourd’hui, si le temps est froid, le soleil est radieux et je l’attends derrière ma fenêtre. Je ne bois plus mon café dans ma cuisine, mais ici, de peur qu’elle ne passe durant mon absence. Normalement c’est bientôt l’heure, elle ne devrait plus tarder. Je sirote mon café, elle apparaît, au bout de la rue, elle a mis son manteau rouge, elle doit être de bonne humeur. Cette teinte lui va bien. Une grande écharpe blanche lui entoure le cou et la tête. Le froid est vif. On dirait un père Noël ! Un peu en retard vu l’allure à laquelle elle pédale ! Je me régale de la regarder encore une fois et je fais des provisions de sa jeunesse pour la journée. Elle est passée, trop vite encore une fois ! Mais au moins je vais pouvoir me mettre à travailler ! J’aime bien mon travail, je suis traducteur. C’est un travail tranquille, je reste chez moi, je fais tout à mon rythme. Je suis suffisamment connu à présent pour ne plus subir des délais imposés. J’ai 71 ans, depuis le 4 octobre. Je pourrais arrêter de travailler mais j’aurais du mal à me passer de cet exercice de style qu’est la traduction et les auteurs n’aiment pas tellement changer leurs habitudes, ils me sont fidèles depuis fort longtemps. Je prendrai ma retraite en même temps qu’eux !...

Ma journée se déroule tranquillement. Les mots glissent, je slalome de phrases en phrases. Mon travail prend forme et je vais bientôt pouvoir transmettre à la relecture.

Ce matin, elle n’est pas passée. Je n’arrive pas à travailler, j’ai attendu et j’ai bu trop de café. Je sens mon cœur un peu palpitant, les excès ne me réussissent plus. Je me sens vieux, un peu ridicule empêtré dans mon attente adolescente. Je me retrouve avec les défis grotesques de mes 14 ans. « Si tu retiens ta respiration jusqu’à ce que la mouche s’envole, elle va apparaître au bout de la rue » la mouche s’est envolée et rien ne s’est passé.

Hier elle n’est pas passée, ni dans un sens ni dans l’autre, mon attente fut vaine et  mon travail inexistant. Je l’attends, encore, je l’espère.

Il fait nuit noire, j’hésite à lâcher la fenêtre. Je sens que si je tourne la tête. Elle en profitera.

Je me suis réveillé à mon bureau, je suis courbatu, j’ai mal partout, mes os grincent. Je me suis endormi sans la voir. J’ai rêvé d’elle, je faisais du vélo avec elle, enfin j’essayais de la rattraper. Elle riait de me voir peiner derrière elle. Plus je souffrais, plus elle riait. Mon cœur me faisait mal et mon esprit chavirait. Je maudis le temps qui passe. Je maudis la vieillesse qui me rattrape et qui étouffe de sa gangue mes 20 ans qui se débattent. Le temps est une maladie incurable. Le temps est une gangrène. Quand je me réveille, et que ma nuit fut quiète. Je suis adolescent et ma vie est neuve. C’est quand je vois mes mains, ridées, fripées, tachées, je comprends que le temps qui passe n’est pas un déguisement.

« - Allo ? Cécile ? Tu sais, ça y est enfin ! J’ai décroché mon job ! Je suis super heureuse ! En plus, ça tombe hyper bien, mon contrat à la librairie est fini depuis un mois et je restais cambutée chez moi. Remarque, ce n’est pas un mal ! Avec le froid qui fait, le vélo ce n’est pas génial, et pédaler dans ces rues à courants d’air, ça me pesait ! Ouiii !! C’est ça…. L’éditeur m’a appelée hier. Je commence de suite, une traduction à terminer, le gars les a lâchés. Ce n’est pas un mal, je crois qu’il avait au moins 80 ans ! Place aux jeunes !! »

 
Poussé vers le tombeau par les bras roses des enfants…..

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A
Tu as un véritable talent ...Je me sens si petite devant ce que tu écris ...Continue ma belle
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M
faut pas exagérer!!!
C
"J'ai été ce que tu es, tu seras ce que je suis"...<br /> "Avec le temps, va, tout s'en va"..<br /> Une belle écriture qui creuse son chemin dans notre esprit, une musicalité fluide... qui ravit. <br /> Vivement que tu sortes des cartons, pour continuer à écrire de nouveaux textes.<br /> Bizzz<br /> Cyril / Zé
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M
je vais tenter prochainement une reptation sur des sentiers plus neufs!
L
"Ce n'est pas ce que l'on regarde qui compte, mais l'endroit en soi d'où l'on regarde."<br /> Gustav Meyrink
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