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Le plumot

Miroir

7 Août 2006 , Rédigé par lilith - Pfffft Publié dans #Nouvelles...glurps

 

J’ai XXXXV ans, je vis dans une petite chambre sans barreaux de 107,64 pieds carrés mais malgré tout verrouillée à double tour, seules 2 sorties journalières dans le parc de 61,78 acres me permettent de faire un peu plus que les 100 pas que permet ma chambrette. Les repas dosés à 1350 calories sont suffisants en regard de nos efforts fournis. Je suis bien ici. Les 6 infirmières de jour et les 3 de nuit sont gentilles,

Je suis, non plutôt, j’étais comptable, pas expert, non !, aide comptable. Petit comptable, comme disait Nicole, ma femme, enfin mon Ex femme. Elle m’a viré, comme on m’a viré de mon boulot d’ailleurs, comme un malpropre. Les machines ont œuvré à ma mise à mort. Moi le roi des Grands Livres, j’ai été terrassé par un minuscule « I Mac » ! Je n’ai pas pu lutter. Mon cerveau ne fonctionne qu’entraîné par les volutes chiffrées et ma main actionne mon esprit. Malgré tous mes efforts : l’informatique m’a exclu du système. Combat inégal, c’est un petit jeune qui m’a pris ma place. Le prince du clavier, l’empereur des « games boys » en tout genre. Bien sûr, on m’avait prévenu, 3 mois pour trouver autre chose. Mais… c’en était fini pour moi, « on n’est plus au moyen âge… » Me disait mon patron. Trop lent, pas assez productif. Même Nicole, s’y est mise : je n’étais plus assez…, je ne valais plus rien. Ça a été facile, malgré nos 20 ans de vie commune, je n’avais pas grand-chose, une valise a suffi. Et, je me suis retrouvé à la rue. Ça fait drôle… je me suis senti tout nu, au milieu des courants d’airs. D’un autre côté, ça m’a permis de visiter la ville. Depuis si longtemps que j’y habitais, je n’avais jamais flâné, jamais regardé en l’air. Elle n’est pas particulièrement extraordinaire, mais – Bon Dieu – quelle sensation bizarre que de se sentir touriste dans un lieu que l’on a côtoyé pendant 20 ans ! Je me sentais pesamment libre, engourdi dans un espace que je ne connaissais pas.

C’est un peu halluciné que j’ai erré (hère-r), ma valise accrochée à mon poignet. Voyageur hors du temps. J’ai dormi sur un banc, à côté de la gare. Un instant euphorique, je m’étais vu prendre un billet et partir. Puis, arrivé devant la guichetière. Je n’ai pas su dire : où ? Où aller ? Je n’avais pas d’objectif, aucun but, pas d’endroit où me rendre. Et c’est piteux que je m’en suis retourné. Je me suis assis sur un banc et j’ai attendu, j’ai fini par m’assoupir et la nuit est passée sans douleur.

Je suis dans une chambre, assis sur une chaise. J’attends que le jour se lève. Tous les matins, bien avant l’aube, je me prépare, j’attends et je pars avec mon cartable vide. Je marche d’un pas décidé, qui au fil de la journée se fait plus pesant. Le soir je rentre épuisé, les pieds meurtris.

Je suis dans une chambre, je me prépare à sortir, mon cartable vide est prêt. Mon regard croise un tableau, un homme à l’air triste, je ne l’avais jamais remarqué.

Je sors, je marche, cette image m’obsède, cet homme à l’air si triste.

C’est bien plus tôt que je rentre. Je cherche le tableau…

Je suis dans une chambre, assis, la chaise n’est plus à côté du lit, elle est face à la commode. Le tableau c’est moi : je me regarde dans un miroir. C’est étrange je n’arrive pas à me reconnaître. Alors, petit à petit je me rapproche, pour étudier, observer ce corps puis ce visage inconnu. Je suis laid. C’est marrant, je ne m’en étais jamais rendu compte, je ne m’étais donc jamais vu ? Pourtant toujours rasé de près, qu’y avait-il avant ? Dans le miroir. Pas la même personne. Mais où est-elle ? pourquoi est-t-elle partie ?

Je suis dans le miroir. Je ne peux plus en sortir.

Vaguement, j’entends des voix, on m’appelle. Elles sont loin. Je voudrais les attraper, ouvrir la porte. Mes mains ne m’obéissent plus. Elles pendent lamentablement le long du corps d’un autre. Alors…

Je plonge.

Et je plonge encore et encore. Pour briser cette muraille invisible. La lumière change, elle se tamise de rouge, puis faiblit. Il fait noir. Les voix sont parties.

Depuis, maintenant 5 ans, je suis dans une autre chambre, sans miroir. Il a fallu du temps, paraît-il, pour me récupérer. Les os de mon crâne constituaient un vrai puzzle ! J’ai été l’objet d’essais sur la chirurgie osseuse réparatrice. Et c’est paraît-il non sans mal, qu’ils ont réussi à recoller les morceaux ! Ils ont beaucoup craint pour l’état de mon cerveau… mais bon ce n’est pas grave.

Pour m’occuper, les infirmières ont convaincu les gens du service comptabilité de me donner des comptes à faire. Maintenant je suis assez fier de moi, je fais tous les calculs de tête, comme ça ! D’ailleurs les médecins qui m’ont « reconstitué » m’amènent régulièrement dans des congrès pour que je leur fasse des calculs.

Mais, moi maintenant, j’aimerais bien parler, parce que je ne sais plus. Alors je me dis que, peut-être, si j’arrête les médicaments, ça reviendra ! Mais Huguette, elle me surveille de près.

 
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A
ce texte a vraiment une force inouie... chapeau...
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M
merci!<br />  
L
Voilà... encore quelque chose d'un peu sombre et dérangeant... et d'une banalité affligeante... qui m'enchante !
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