Une cigarette (redit)

24 Décembre 2008 , Rédigé par Motdit Publié dans #Nouvelles...glurps

Quand je regarde par ma fenêtre, je vois un arbre, il est en fleur. C'est bientôt le printemps, dehors. Il faudrait que je sorte, mon frigo est vide. La chatte est à mes pieds, elle ronronne. Je n'ai reçu que des factures aujourd'hui, hier aussi d'ailleurs. Avant-hier, il n'y avait rien, si, de la publicité. J'aimerais bien qu'elle parle, la chatte. Tiens, il faut que je pense à arroser les cyclamens. Ils baissent la tête. Moi, je la perds, la tête, de l'eau n'y fera rien, malheureusement. J'aimerais aller marcher au bord de la rivière. J'ai souvent envie de me promener. Ce matin, non, c'était hier... enfin peut-être la semaine dernière. Je suis partie de la maison pour aller jusqu'au parc. Je ne sors pas souvent, Le quartier a changé. Il fait froid le matin. Je n'oublie jamais de mettre mon bonnet et mon écharpe. Ma mère me gronde, sinon. Quand je suis arrivée à l'épicerie, je me suis aperçue que j'avais oublié mon porte monnaie. Cela ne m'arrive jamais, je fais très attention en général. Quand je suis assise devant la fenêtre, je pense. Je pense à mes souvenirs, c'est idiot mais je n'arrête pas d'y penser. Je me dis qu'ainsi, à force et à force de me les remémorer. Ils arrêteront de se brouiller de se mélanger. Je fais des exercices. Je me rappelle des prénoms dans ma famille, Claire, Marie, Mathilde, Pierre... je fais des mots croisés. Mais j'ai du mal, mes yeux fatiguent. Ils se brouillent, comme mes souvenirs. Je sais qu'il y a un problème. Mes pensées ne sont plus apprivoisées, elles redeviennent sauvages, elles sont libres. Je ne maîtrise pas leur fil. Et puis même ça j'oublie. Il faut que je téléphone à l'aide ménagère. Elle a oublié de venir mardi, je crois. Il y du désordre. Je ne supporte plus le désordre. Je ne trouve plus rien. Les affaires ne sont jamais à leur place. Les enfants, je suis persuadée que ce sont les enfants, ils déplacent tout. Ils cachent mes affaires pour que je renonce. Non je n'irai pas dans cette satanée maison de retraite avec tous ces vieux. Je préfère rester ici avec Lisette, la chatte. J'ai des petits papiers partout, pour ne pas oublier. C'est juste que j'écris mal, je n'arrive plus à me relire. Je chante, dans ma tête, ça m'exerce aussi. J'aime le son de ma voix, je mets mes mains sur mes oreilles. Tout doucement, je chante. Je la reconnais bien ma voix, elle est claire encore, elle. Elle me rassure. Je ferme les yeux et j'ai l'impression de voyager dans le temps, elle me berce. Alors je m'endors. Des fois je me dis que j'aimerais bien mourir, comme ça, en écoutant ma voix. Je n'aurais pas peur. Parce c'est l'heure pour moi je crois. Ils me surveillent trop bien les enfants... le moindre rhume, le moindre souci et aussitôt, ils déploient l'artillerie lourde et des bataillons de médecins. Il faudrait qu'ils comprennent, que les vieux, ils ne peuvent pas mourir en paix, en faisant comme ça. Ils les surveillent trop. Ils enferment leur vie avec des pilules. Ils les obligent à mourir guéris. Moi je voudrais bien mourir, plus ils me soignent, plus j'ai peur. Ils font ça peut-être parce qu'ils pensent que c'est horrible, après... je voudrais bien qu'ils arrêtent de me nourrir de leurs médications. Je voudrais juste des choses bonnes, que j'aime. Un petit verre de vin, des gâteaux. Peut-être même, si j'osais, une cigarette. La dernière... et puis après me laisser couler, avec ma voix qui me chanterait une berceuse. Ce serait un moment doux, pas triste.

Partager cet article

Repost0