Ce soir c'est décidé...
Je regarde la pendule... les secondes tournent autour du centre hypothétique d'une vie... j'attends sagement l'heure de la visite. Oui maintenant je suis sage.
Je suis une loque, je ne vaux plus rien. Mes jambes maigres tremblotes, mes mains ridées et déformées n'ont plus de repos. Je n'entends même plus le tic tac de ce « Big Ben » de pacotille.
Seuls mes yeux survivent et ont gardé leur vivacité. Sur les murs blancs sale des reproductions approximatives de tableaux de maîtres semblent échappés du rayon des boites de chocolats d'un supermarché. J'ai toujours eu horreur du chocolat. Pourtant, je sais... aujourd'hui encore, ils m'en apporteront... du bonheur pour les aides soignantes.
Je rêve...
Oui... Je rêve encore.
Mes souvenirs sont devenus des rêves. Je les cultives avec patience. Un souvenir par jour... je m'interdis d'en faire plus. Alors dès que j'en attrape un, je m'en occupe vraiment. Je reconstitue seconde par seconde, comme cette aiguille que je regarde et qui ne se lasse pas, le moindre recoin de ce moment perdu. Je tourne autour, comme un cinéaste attentif à ses acteurs, j'analyse et visionne ces plans multiples de ma vie passée.
Elle était belle ma vie.
Je l'ai beaucoup aimée ma vie.
Mais je ne l'ai pas assez montré. Je n'ai pas assez dit aux gens que je les aimais. J'allais trop vite pour pouvoir les prendre dans mes bras et les serrer contre moi. Je pensais qu'ils le savaient, qu'ils comprenaient, je me trompais.
Alors de tout cet amour que je n'ai pas su distribuer, alors de tout ces mots que je n'ai pas su prononcer, il ne reste rien.
Que des chocolats que je n'aime pas.
C'est bête... maintenant que je sais tout ça... Je ne peux plus parler
L'heure de la visite approche...
Je fais peur à mes petits enfants.
Ils sont pressés que je meure. Pour hériter de ma vie de labeur.
Je ne peux même pas leur dire que je les aime.
Aujourd'hui, je veux les voir, une dernière fois...
Et ce soir, c'est décidé, je meurs...